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Carambolages, une exposition qui bouscule

Public conservateur, passez votre chemin pour cette exposition haute en couleurs ! Quand on lit le descriptif de "Carambolages" sur le site web du Grand Palais, on s'interroge, on n'arrive pas à définir ce que l'on pense y trouver...

Une exposition hors-norme

Absurdistan de Gloria Friedman
 Alors comment expliquer ce que l'on peut y voir ? Je dirais que c'est un voyage artistique où le public est dérouté, on l'oblige à passer de son statut passif à celui de découvreur : on déambule entre les œuvres hétéroclites, essayant de trouver un lien imaginaire, des associations d'idées. Les légendes et explications sont reléguées à la fin de chaque corpus thématique, nous permettant de nous focaliser tout d'abord sur les œuvres.

Cette méthode si atypique de concevoir une exposition est pour moi très moderne : on pourrait même affirmer qu'elle a pour cible la génération Y, habituée depuis très jeune à être active sur Internet, elle s'ennuie particulièrement vite à partir du moment où elle est inactive. 

C'est aussi une manière de réapprendre à observer une œuvre. J'ai été surprise de me rendre compte que mon regard était plus neuf, à l'affût du moindre détails !

Un commissaire d'exposition particulier

Je cherche le nom de cette œuvre, à bon entendeur...
Jean-Hubert Martin a eu l'idée insolite de ce parcours insolite aux allures de cabinet de curiosités. Historien d'art, il milite contre les collections présentées de façon chronologiquement linéaire, préférant mettre en valeur des thèmes différents. Peut-être a-t-il un côté provocateur, dû sans doute à sa passion pour l'art contemporain, mais il a néanmoins pour moi le mérite de vouloir casser les codes traditionnels et poussiéreux de l'univers muséologique.

J'espère vraiment avoir l'opportunité de voir un autre de ses projets originaux à Paris, malgré les réticences de certains autres conservateurs. On peut tout de même remarqué la grande participation de la Cité de la Céramique, du Musée du Quai Branly ou encore Guimet.

Les petits plus/moins...

Les bons points vont à la scénographie simple étant donné l'intrication et l'hétéroclisme du parcours. J'ai apprécié aussi le jeu "Rocambolez !" disponible sur place, sur l'application ou sur le site web. La boutique du Grand Palais était à l'image de l'exposition, intéressante et foisonnante !

En revanche je n'ai pas trouvé que l'application était très élaborée, je n'ai pas non plus accrochée au parcours musical proposé. La première salle m'a semblé un peu dure d'approche alors que je n'ai pas du tout eu ce sentiment par la suite.

Le Temps coupant les ailes de l'Amour de Pierre Mignard (1694)



Mustang, un film féministe


Sorti en juin dernier je ne pensais pas pouvoir avoir l'occasion de le découvrir au cinéma. C'est chose faite avec beaucoup de retard grâce à mon cinéma de quartier ! J'avais eu de nombreux échos positifs parmi mes amis ; les quatre césars remportés, l'oscar du meilleur film étranger, sans parler des autres prix et nombreuses nominations, n'ont fait que confirmer l'intérêt à porter sur le premier long-métrage de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven.

Quelle est l'histoire ? On suit cinq orphelines élevées librement par leur grand-mère qui se retrouvent du jour au lendemain cloîtrées à la maison suite à un jeu innocent avec des garçons prenant aux yeux des adultes des allures sexuelles et scandaleuses. L'oncle prend le relais dans l'éducation de ces jeunes filles afin qu'elles soient "bonnes à marier".

Une vision féministe

La réalisatrice prend sa revanche dans ce film : elle a choisi de partir d'un souvenir vécu, le jeu innocent avec les garçons, où elle s'est faite réprimander étant jeune. Sa réaction à l'époque a été d'être honteuse. Ici c'est tout le contraire, chacune à leur façon les sœurs sont révoltées par cette attention réactionnaire. Deniz Gamze Ergüven dénonce dans sa pellicule ce conservatisme ambiant en Turquie, pays qui a pourtant donné le droit de votes aux femmes bien avant la France ! L'oppression machiste et le patriarcat pèsent de plus en plus sur ces jeunes filles au fur et à mesure qu'on les emmure - les murs montent littéralement, tout devient grillagé ! C'est une critique politique ouverte que j'ai particulièrement appréciée.


Un regard nuancé sur les hommes et les femmes (ATTENTION ! Spoilers dans ce paragraphe)

Certes l'oncle tient le rôle du "grand méchant loup", au point où le spectateur en arrive à avoir la peur aux tripes pour les deux dernières sœurs restées à la maison. On espère d'ailleurs presque tout du long qu'il apprenne à apprécier ces cinq nièces, qu'il ait de l'empathie, mais ce dernier reste obstinément enfermé dans son éducation patriarcale. Il désire tellement les dominer qu'il en vient à en violer certaines la nuit.
Heureusement les personnages masculins ne sont pas tous négatifs. En effet celui de Yasine, le livreur de légumes aux cheveux longs saura nous permettre d'avoir un œil plus nuancé sur les hommes du film.
Le personnage de la grand-mère était très intéressant, même s'il est de plus en plus effacé dans la durée. Elle a élevé ses petites-filles de manière libre, mais les réprimande car elle a peur du regard moralisateur extérieur. Celle-ci semble aussi trouver le moyen de "les libérer" de leur oncle en les mariant ; on a l'impression que pour elle il n'y a pas d'autres solutions possibles.

Un film coloré

Ce qui était très appréciable dans ce long-métrage c'est que nous passons par toutes les teintes émotionnelles : on admire la beauté des images, on rit ou on est triste de certaines situation, on est affolé à d'autres moments... Il y a vraiment une palette large de sentiments qui nous traverse et de ce fait je conseille vivement à toute personne de voir Mustang !

Le club de lecture de Emma Watson



Au début de cette nouvelle année l'actrice Emma Watson, ambassadrice de l'ONU pour le droits des femmes, à inviter le monde à la rejoindre dans un club de lecture féministe sur Goodreads.com. Une belle annonce car je participe déjà à ce site peuplés de rats de bibliothèques comme moi !

Le principe 
Un livre par mois est sélectionné et aura pour thème le féminisme. Le but étant qu'un grand nombre de personnes participent et puissent échanger sur le sujet, qu'il y ait des rencontres de lecteurs, des échanges... Tout ceci est permis grâce à la création du forum du club lecture sur Goodreads OurSharedshelf. Emma Watson s'engage en plus à essayer de faire participer l'auteur-e du livre à la fin du mois d'une quelconque manière.

"My life on the road" de Gloria Steinem
"You should write about take no-shit women like me. Girls need to know they can break the rules"
Le premier livre choisi pour le mois de janvier 2016 est "My life on the road" de l'activiste Gloria Steinem. J'avoue que je n'étais pas spécialement convaincue par cette sélection, en partie parce que je ne connaissais pas du tout l'auteure et qu'il n'existe aucune traduction française à ce jour de cette autobiographie - j'assume complètement d'être une feignasse ! Étant donné que je soutenais pleinement cette initiative je m'y suis mise bon gré mal gré. 
Et ce fut une très belle surprise : son écriture est fluide et agréable, comme on peut s'imaginer un trajet en voiture sur une route américaine, les cheveux au vent. Outre son style plaisant j'ai pu apprendre énormément d'éléments sur l'évolution des droits des femmes aux États-Unis, mais aussi sur les discriminations faites aux communautés noires et amérindiennes, au point où parfois j'en "restais un peu sur le cul" ! Certaines anecdotes sont aussi très amusantes et respirent l'espoir de vivre dans un monde équitable. 
C'est en tout cas un parcours de vie incroyable, inspirant et j'espère que Gloria Steinem pourra encore nous abreuver de détails sur son parcours, même si cette dernière a dépassé les 80 ans !

Et après ?
Une conférence avec Gloria Steinem est organisé à Londres le 24 février prochain. Emma Watson sera l'intervieweuse et l'évènement sera entièrement filmé. J'espère qu'il y aura des sous-titres en anglais afin que ce soit plus facile pour les non-bilingues !
En attendant les lecteurs français essayent de s'organiser un petit meeting début février pour parler de son livre : lien.
On attend également avec impatience le titre du livre du mois de février.

The Danish girl : un amour dépassant la frontière des genres

Vu hier en avant-première, ce film s'inspire de la vraie histoire d'amour des artistes danoises Gerda Wegener et Lili Elbe (née Einar Wegener), cette dernière étant la première personne au monde ayant subi des opérations de chirurgie de ré-attribution sexuelle. J'avais déjà vu la bande-annonce, connaissais le nombre de nominations différentes en cours, et je m'attendais à un bon moment cinématographique. J'avais donc une haute attente et elle fut pleinement satisfaite ! 


L'amour et le transidentité

Ce qui a été pour moi le plus marquant dans ce long-métrage c'est, au-delà de la souffrance autour de la transidentité (le besoin de changer de corps, le regard des autres, la torture de la chirurgie...), l'amour inconditionnel de sa femme Gerda Wegener. Malgré sa tristesse, ses inquiétudes, parfois son malaise, elle soutiendra toujours son mari à devenir Lili Elbe. Cet amour absolu est vraiment magnifié ici. Pour rendre compte de ce sentiment incroyable l'actrice Alicia Vikander n'a pas hésité à contacter Leslie Fabian qui a vécu ce changement au sein de son couple et qui en a écrit un livre.
Une réalisation poétique

Tom Hooper a su vraiment sublimer cette histoire unique en son genre (lol. Pardon.) avec des scènes poétiques. Je pense par exemple à celle où Einar va dans un bordel à Paris et imite à travers une vitre les gestes sensuelles d'une fille de joie, ou encore celle où ce dernier s'approprie mentalement la robe d'une danseuse pendant que sa femme peint... Tout est soigneusement maîtrisé et beau. J'ai beaucoup aimé aussi toutes les parties où Einar ou Lili se trouve face à un miroir.


Des acteurs nominés et qui le méritent !

Comme je le disais plus haut, il y a eu une vraie recherche de certains des acteurs pour incarner leur personnage. Eddie Redmayne a fait une enquête sur le vrai passé de Lili Elbe, s'est inspiré de nombreux mouvements des femmes qui l'entouraient. Il n'est pas étonnant que ce dernier et Alicia Vikander soient tous les deux nominés à de nombreuses reprises. Il est à souligné tout de même que les seconds rôles étaient aussi très bien joués : Matthias Schoenaerts joue toujours le chevalier blanc depuis Loin de la foule déchaînée de Thomas Vinterberg, mais que voulez-vous, il est doué pour ça ! J'ai aussi apprécié la prestation de Sébastien Koch dans le chirurgien pionnier et ouvert d'esprit, je l'ai trouvé très juste dans son rôle. Le personnage de Oola Paulson, la danseuse, incarnée par Amber Heard était une touche de couleurs et de fantaisie très agréable.

Seul point négatif au tableau (ahah...) c'est que les tableaux et dessins ne sont aucunement des copies d’œuvres originales de Einar ou Gerda Wegener, j'ai trouvé qu'il était dommage que cet effort ne soit pas fait.

Pour aller plus loin : Le Musée Arken d'Art Moderne à Copenhague organise en ce moment même jusqu'au 16 mai 2016 une exposition autour de Gerde Wegener. On a un aperçu grâce à un extrait de la brochure. Si le succès est au rendez-vous j'espère que cette exposition fera un tour par Paris !

Lili with a feather fan, peint par Gerda Wegener en 1920

Fantastique ! Une double-exposition qui se termine bientôt

Je suis encore plus en retard que les lapins de mon précédent article : la double exposition du Petit Palais Fantastique ! Kuniyoshi se finit dimanche alors que j'ai pu y poser mon regard au vernissage spécial organisé le 30 octobre 2015... Cet évènement était un vrai brin d'air frais parmi les vernissages auxquels j'ai par le passé assister, car ici c'était accessible à tous, pourvu que l'on s'y inscrive à l'avance, c'était du coup beaucoup moins mondain. Il y avait de nombreux activités ludiques autour de l'exposition :

- Plusieurs personnes tatouées défilaient dans la grande salle principale nous montrant leurs atours encrés et indélébiles à l'effigie des dessins de Kuniyoshi. Une manière tout à fait moderne de remettre au goût du jour l'art d'un siècle passé. Pour persister dans cette idée il y avait même un bar à tatouages éphémères.
 
- Un cadavre exquis géant où chacun pouvait participer au coloriage. Petits et grands s'en donnaient à cœur joie !

- Des parcours ludiques étaient mis en place à travers des jeux de pistes.

Tout ceci était accompagné d'un fond sonore de musique électronique donnant vraiment à cette soirée un côté jeune et moderne. Ceci s'est beaucoup ressenti à travers la moyenne d'âge des gens participant à ce vernissage haut en couleurs.

Mais que penser de cette double exposition ? J'ai trouvé qu'elle était à l'image de sa soirée spéciale. En effet c'était très centrée sur la première moitié axée sur "Kuniyoshi, le Démon de l'estampe", avec des animations époustouflantes (un exemple ci-dessous) ; c'est un grand bravo à Didier Blin, le scénographe. N'étant pas très fan de l'art pictural japonais j'ai trouvé tout de même intéressant de voir à travers les dessins de l'artiste un prémisse du manga et son concept de mouvement.
 

Au sujet de la deuxième partie "L'estampe visionnaire, de Goya à Redon" était beaucoup plus classique, les murs étaient colorés d'ailleurs de manière beaucoup plus terne. Il est vrai qu'il est difficile de donner un côté chatoyant à une exposition où le macabre en omniprésent, je le concède, mais je pense qu'un peu plus d'interactivité n'aurait pas fait de mal ! Les citations qui ponctuent les différentes salles m'ont touchées de par leur poésie, en voici quelques-unes : "Il faut respecter le noir. Rien ne le prostitue. Il ne plaît pas aux yeux et n'éveille aucune sensualité. Il est agent de l'esprit bien plus que de la belle couleur de la palette ou du prisme" (Redon), "Le sommeil de la raison engendre des monstres" (F. de Goya).

Les Fantômes (de je ne sais plus qui, le DP ne précise malheureusement pas)



Mis à part les explications en vidéo de comment réaliser une gravure/estampe, j'ai trouvé qu'il manquait d'informations sur certaines œuvres. J'ai donc un avis plutôt mitigé : nous gagnons en modernité et en interactivité dans cette exposition, mais nous y perdons en richesse d'informations.